Entre culture des noms et horticulture, levons le voile sur les sources de notre dictionnaire.
Pour bien décrire les plantes, mieux vaut bien savoir de qui nous parlons et donc bien les nommer. Facile à dire...
Depuis la naissance du projet Végébase puis des outils Floriscope, l'idée de Plante & Cité et ses partenaires était notamment d'agréger les connaissances sur les végétaux cultivés (pour les jardins et espaces verts).
Or, recouper puis cumuler les informations de diverses sources sur une plante nécessite de pouvoir correctement attribuer les informations au bon taxon, tout comme d'identifier quand il s'agit d'un même taxon sous différentes écritures.
Car les plantes ont des noms qui changent, évoluent, se trouvent parfois déformés par l'usage. Que les coupables en soit la botanique universitaire ou les pratiques marchandes, chaque publication scientifique, chaque impression d'étiquette ou mise en ligne de disponible peut aboutir à une nouvelle orthographe.
L'enjeu n'est pas uniquement scientifique, loin s'en faut : pour regrouper l'offre de différentes pépinières, il faut également en passer par le recoupement des noms pour compiler les fournisseurs produisant la même essence.
L'enjeu s'avère donc également économique.
Bien que l'aspiration semble clairement cruciale pour faciliter tous les échanges : flux de données, de marchandises (vivantes), veille phytosanitaire ou protection des droits des créateurs ; le problème, qui ne date pas d'hier en horticulture, est loin d'être résolu. L'extraordinaire diversité des productions de cette filière, brassant plantes d'ici et d'ailleurs, créations anciennes (régionales ou internationales) et innovations en perpétuel renouvellement complique singulièrement la tâche.
Ainsi, au démarrage de la construction de Végébase, l'équipe s'est trouvée bien embêtée : sur quelle base agréger les données récoltées ? Car, ne mâchons pas nos mots, en 2010, de "dictionnaire" des noms de plantes horticoles adapté à la France, il n'y avait point !
Il nous a donc fallu en développer un, un préalable au goût de défi scientifique qui nous a amené à nager en eaux troubles pour tenter de faire la jonction entre deux continents qui semblent se méconnaître : la taxonomie et l'horticulture.
A) De la botanique...
Reprenons nos bases académiques, à l'échelle taxonomique (les rangs : "Règne", "Embranchement", "Classe", "Ordre", "Famille", "Genre", "Espèce", auxquels s'ajoutent les rangs infraspécifiques : "Sous-espèce", "Variété" et "Forme"), c'est à peut près clair.
Il existe en effet des bases internationales régulièrement actualisées par le gratin des botanistes spécialistes en classification. Ces référentiels taxonomiques semblent gonfler d'année en année comme des soufflés et tendent doucement vers l'intangible et utopique exhaustivité du vivant sauvage.
J'entends d'ici que les premiers rangs s'agitent, s'agacent, toussotent. Restons calmes.
Oui, bien sûr, avouons le tout de suite, la botanique ressemble parfois à la politique avec ses courants de pensée et leurs partisans irréconciliables.
Nous ne mettrons pas tout le monde d'accord.
Il y a différentes écoles concernant le choix de l'un ou l'autre référentiel et parfois même pour suivre ou ne pas suivre un changement nomenclatural, le déplacement d'un genre, la création d'une nouvelle sous-espèce.
Les botanistes les plus pointus (nous avons la chance d'en côtoyer fréquemment, enfin s'ils nous pardonnent les raccourcis pris dans le présent article) argueront qu'aucune de ces bases n'est absolument satisfaisante, parfaitement actualisée, maintenue par suffisamment d'experts pour chaque famille végétale.
Soit. Choisir de suivre un référentiel taxonomique permet tout de même, à l'échelle de notre toute petite équipe, de viser une certaine cohérence dans notre base de données et de suivre indirectement les nombreuses et de plus en plus rapides (r)évolutions de la classification.
Sans cela, il nous faudrait constituer notre propre bataillon de botanistes pour investiguer directement les dernières découvertes mondiales. Puis il faudrait arbitrer les contradictions, issues des confrontations d'experts, de la numérisations de vieux herbiers oubliés ou encore des incroyables séquençages ADN en masse. Des moyens que nous n'avons pas, alors que vous allez le voir dans un instant, nous avons déjà fort à faire dans notre petit domaine de compétences horticoles.
En ce qui concerne Floriscope, pas de mystère : au-delà des déjà très bons outils nationaux et afin de mieux traiter les espèces exotiques, nous nous fions principalement à Plants of the World Online (https://powo.science.kew.org/ ). Parfois nous puisons également de rares références infraspécifiques manquantes dans World Flora Online ( https://www.worldfloraonline.org/ ).
B) ... à l'horticulture...
Famille, Genre, Espèce... c'est bien, c'est déjà suffisant pour écrire le couple Genre espèce qui reste le socle de toute communication sur les plantes sauvages, mais nous sommes encore loin du cœur du sujet !
Car la majorité des plantes présentes dans les catalogues des producteurs, dans la palette de nos patrimoines arborés, dans nos jardins, nos vergers, nos potagers, sur nos rebords de fenêtre (extérieurs ou intérieurs) ont un jour été croisées et/ou sélectionnées. Leurs appellations sortent ainsi du cadre de la taxonomie classique.
Pour être plus belles, plus goûtues et vitaminées, certes, mais aussi plus compactes (nos jardins sont de plus en plus petits), plus naturellement résistantes aux ravageurs, tolérantes aux conditions difficiles, plus adaptables quant au sol, avec des floraisons plus étalées ou décalées, répondant à de nouveaux usages...
En bref, pour adapter les plantes qui nous accompagnent à nos besoins, le monde agricole n'a eu de cesse de créer des hybrides et des cultivars* dont les exigences culturales et les caractéristiques ne peuvent être assimilées à leurs parents sauvages quand on veut bien les connaître, les choisir et les trouver (et ça, c'est notre mantra, au cas où...).
*Attention, petit point de vocabulaire, contrairement au langage courant et même au juriste, en botanique, si une plante est créée ou sélectionnée par l'homme, alors nous parlons d'un "cultivar". Le mot "variété" étant réservé pour désigner des variations naturelles au sein d'une espèce, que le botaniste écrira Genre espèce var. variété . Nous ne devrions donc parler que de "cultivars anciens", de "cultivars régionaux" ou encore de "cultivars nouveaux" de fruitiers, légumes et plantes ornementales.
Vous me voyez venir, à cette échelle aussi, il y a donc besoin d'une nomenclature rigoureuse. Les choses se corsent.
Contrairement à une idée reçue fréquente, il existe bien des règles pour nommer les plantes horticoles.
Ouf, sauvés !
Elles sont justement concernées par le très savant Code de Nomenclature des Plantes Cultivées.
Plutôt que sa lecture intégrale (bien qu'en cas d'insomnie...), nous vous conseillons l'excellente fiche synthétique qui nous suit partout (certains membres de l'équipe auraient même songé au tatouage, c'est dire), rédigée par notre grand maître vaudou en matière botanique, Valéry Malécot : Recommandations et règles d'écriture des noms scientifiques de plantes
Pour s'assurer des orthographes et synonymies, quelques très belles bases européennes référencent des plantes cultivées. Nous les consultons bien évidemment intensément, pour ne pas dire quotidiennement, pour enrichir et corriger l'existant de notre base. Oui, nous l'admettons, "corriger" car celle-ci, née d'une agrégation de sources façon big-bang, n'est pas tout à fait -complètement-absolument-cent pour cent- irréprochable (mais nous y travaillons, vous l'aurez compris).
Des institutions européennes de référence disions-nous, dont les travaux précurseurs et indispensables pour toute la filière européenne nous font éprouver une grande reconnaissance et une grande humilité (ce sont un peu nos modèles), aussi en profitons nous pour les remercier ici de diffuser leurs travaux en ligne.
Vous les verrez régulièrement citées comme sources dans les fiches des formes cultivées, il s'agit soit de la Royal Horticulture Society, soit de la base soutenue par l'E.N.A (European Nurserystock Association), International Plants Names.
Il nous faut encore compléter avec les créations spécifiques de nos grands et petits obtenteurs nationaux, pépites qui ne sont souvent pas enregistrées dans les bases européennes.
Pour certaines gammes spécifiques, comme les fruitiers et légumes, nous nous conformons aux orthographes du Catalogue Officiel des Variétés (si vous avez suivi et sans lancer un débat, celui-là ne référence que des cultivars et non des "variétés").
Pour quelques sélections de collections, nous devons pousser nos investigations jusqu'à certaines listes de référence, très spécialisées, que les botanistes concernés par les plantes cultivées appellent des ICRA (International Cultivar Registration Authorities), également amendées d'autres sociétés savantes au rayonnement mondial.
Enfin, pour les plantes dont leurs créateurs ont protégé la génétique, nous nous informons sur la base de l'Office Communautaire des Variétés Végétales.
On reconnait ces plantes car sur les étiquettes ou dans les catalogues on repère des mentions du genre : "multiplication sans autorisation interdite" ou "c.o.v." pour Certificat d'Obtention Végétale.
Il ne faudrait pas confondre ce type de protection avec la présence du sigle ® de "registered' qui signifie qu'une partie de la dénomination commerciale est une marque déposée, même si c'est une erreur courante.
Ces différentes sources horticoles sont confrontées entre elles et avec les sources taxonomiques évoquées précédemment, pour établir ce que nous jugeons être la meilleure orthographe et ses synonymes les plus usuels.
Voici donc notre dictionnaire enrichi de dizaines de milliers de cultivars, que nous écrivons Genre espèce 'Cultivar' .
Au passage, pour les plus curieux, deux spécificités de la classification horticole enrichissent aussi notre base :
- Pour de (très très) nombreux cultivars, le rattachement à une espèce donnée n'est pas possible. Et oui, c'est contrariant, mais cela arrive. Soit que l'on ne connaisse pas assurément les parents (parenté incertaine = recette secrète de l'obtenteur ou fruit du hasard), soit qu'il s'agisse d'hybridations en cascades, c'est-à-dire des hybrides de parents eux-mêmes hybrides de grands parents... vous l'aurez compris (parenté complexe).
On doit alors se contenter d'écritures de ce type : Genre 'Cultivar' .
Dans un monde idéal, cette écriture ne devrait pas être supplémentée par de vils ajouts tels que :
>l'espèce d'un des parents
> un groupe horticole qui n'est pas une espèce reconnue (ex : Rosa polyantha 'Cultivar')
> un signe d'hybridité seul, qui n'a alors pas de sens (ex: Clematis x 'Cultivar')
- Des niveaux de classification méconnus ont tendance à gagner de l'importance au gré des évolutions de la nomenclature : groupes de cultivars (dont le formalisme est reconnu par le code de nomenclature des plantes cultivées) et divisions ou types de cultivars (qui sont des classifications informelles, donc non intégrées dans le nom scientifique, mais très utilisées dans le langage courant). Ces écritures vous ont peut-être surpris en parcourant Floriscope, mais elles englobent trois cas de figure fort courants en horticulture :
> pour s'y retrouver dans les genres pléthoriques (pour lesquels la créativité horticole a été débridée, créant des milliers de cultivars de parenté complexe : roses, clématites, dahlias, iris, tulipes...), il s'agit de rassembler des cultivars par une parenté commune, des caractéristiques morphologiques ou agronomiques communes.
La plupart des iris des jardins, hybrides complexes, n'appartiennent ainsi pas à l'espèce germanica, mais à des groupes de cultivars, facultatifs dans l'écriture du nom.
> pour continuer de différencier des variations autrefois classées comme sous-espèces, variétés ou formes et que la taxonomie classique ne reconnait plus, les confondant par exemple à l'espèce type. Une illustration typique est celui des différents choux (brocolis, choux-fleurs, choux rouges...), autrefois écrits comme des variétés (var.) de l'espèce Brassica oleracea, alors que la diversité issue de l'espèce est fruit d'une sélection humaine. Nous retiendrons donc Brassica oleracea ( Gemmifera Group ) pour les cultivars de choux de Bruxelles, par exemple.
> Pour désigner des sélections de plantes qui ne peuvent pas être écrites comme des cultivars (individus génétiquement, morphologiquement ou agronomiquement trop variables).
L'exemple le plus parlant est celui des hêtres pourpres de semis, Fagus sylvatica ( Atropurpurea Group ), issus de prélèvements différents et variables par leurs ports ou l'intensité de leurs coloris.
C) ... et jusqu'au commerce !
Et bien même là, nous ne sommes pas tout à fait sortis de la connaissance encyclopédique pour mettre le pied sur la terre ferme de la pratique. Courage, nous n'avons jamais été si proches, ne décrochez pas, vous rateriez le meilleur !
Car l'usage commercial ajoute une dernière strate à la nomenclature : au-delà des dénominations variétales des cultivars, sont souvent ajoutées des dénominations commerciales (qui peuvent être ou non déposées comme marques protégées, c'est vérifiable via l'Institut National de la Propriété Intellectuelle).
Ces appellations qui changent selon les pays, sont souvent plus connues de tous que la dénomination variétale (qui se limite parfois à un code alphanumérique), entrainant en pratique des confusions, l'un étant souvent écrit à la manière de l'autre, les écritures incomplètes complexifiant en sus les échanges internationaux.
Il y a là encore, plusieurs options possibles (et toutes aussi valides les unes que les autres) pour écrire l'ensemble obtenu. Sans vous acculer à la céphalée, sachez que nous avons choisi de considérer comme "meilleures" les orthographes les plus complètes et formulées dans l'ordre suivant :
Genre espèce 'Cultivar' DENOMINATION COMMERCIALE
Petite aparté supplémentaire (bonne pratique) : parfois, pour mieux les mémoriser ou simplement réussir à les prononcer, on ne résiste pas à la tentation de traduire certains noms de cultivars.
Nous ne devrions pas : les cultivars sont intraduisibles pour le code de nomenclature des plantes cultivées. Ils sont par contre transcriptibles dans notre alphabet si nécessaire.
Quand nous en avons connaissance, Floriscope indique donc les traductions fautives soit comme synonymes, soit comme appellation commerciale, en sus de la dénomination variétale.
Allez, pour les plus endurants, même si la coupe est pleine, j'en soupoudre encore un soupçon, ainsi nous aurons vu tous les possibles.
Pour mieux les valoriser, obtenteurs et éditeurs variétaux organisent leurs innovations en collections, gammes ou séries.
Nous pourrions vous les épargner si leur renommée ne dépassait si souvent celle des cultivars qui les composent.
Facultatifs et donc écrits entre parenthèses, ces caractères supplémentaires peuvent être déjà intégrés dans la dénomination variétale (en minuscules sauf première lettre), dans la dénomination commerciale (tout en majuscules) ou encore s'y ajouter (en majuscules). Voilà pourquoi vous rencontrez sur nos fiches des attelages comme :
Genre espèce 'Joli Rose' ( Joli series )
Genre espèce 'JoRo132' MARQUE(r) ROSE ( MARQUE(r) series )
Genre espèce 'Cultivar' BEAU ROSE ( BELLES PLANTES(tm) series )
Nous y voilà ! Nous avons effectué notre panorama des règles d'écritures des noms de plantes qui dictent notre travail pour Floriscope.
Epilogue pour les surdoués : dédicace pour les orchidophiles : leurs chouchoutes possèdent un niveau de classification qui leur est propre, le grex, qui revient plus ou moins à un groupe de cultivars liés à l'identité des parents... mais... je sens que la salle s'est déjà bien vidée...
Nous espérons que cet article long format vous permet de comprendre un peu mieux les arbitrages et les méthodes que nous utilisons pour construire et améliorer notre base.
Car oui, compiler des noms plantes amène à faire un certain nombre de choix, qui sont discutables mais nécessaires pour former un ensemble de plus de 199 000 désignations, que nous souhaitons cohérent.
Travaux pratiques sur Floriscope :
Les informations détaillées sur la classification de chaque plante se trouvent dans l'onglet "TAXONOMIE" de sa fiche.
Y est également mentionnée, pour toute fiche relue récemment, la source de vérification du plus petit niveau de classification dans "Source du nom".
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